jeudi 15 mars 2007

EADS : Coopération n'est pas fusion

Paul-Marie COÛTEAUX

Conseiller politique de Philippe de VILLIERS,
Député européen.


L'affaire EADS, qui désormais prend toute sa place dans la campagne présidentielle, est emblématique des cafouillages de la conception fusionnelle de l'Europe. Il est d'ailleurs stupéfiant que certains beaux esprits croient pouvoir ironiser sur la faillite de "l'Europe des coopérations" que proposent les souverainistes, lesquels citent en effet souvent en exemple Ariane et Airbus, alors que, depuis qu'Airbus a été absorbé par EADS, ce programme obéit à une toute autre logique, celle de la privatisation irréfléchie et de la fusion, qui, justement, dessaisissent les Etats.

Puisque beaucoup s'ingénient à brouiller les pistes, partons du plus simple : le programme Airbus a longtemps obéi à la logique de la coopération, coopération franco-allemande dont le pilier français était la firme Aérospatiale, regroupant d'anciennes entreprises françaises prestigieuses dont Sud Aviation et la majeure partie de Dassault Aviation. Certes, la coopération est inégalitaire puisque, depuis la seconde guerre mondiale, l'Allemagne n'a plus d'industrie aéronautique, à l'exception de la petite Dasa, appendice de la firme automobile Daimler-Chrysler, mais elle parvint à concurrencer la firme américaine Boeing qui, mis à part l'aéronautique française et russe, tendait à dominer seule le marché mondial.

Patatras ! En 1999, le gouvernement Jospin commet deux erreurs monumentales : en février (d'accord avec Jacques Chirac), il fait à Jean-Luc Lagardère un cadeau fastueux : en échange de l'apport de Matra Haute Technologie (MHT), celui-ci reçoit 31 % du capital de la nouvelle entreprise Aérospatiale-Matra - cela pour la somme très modique de 850 millions de francs, soit moins de 2 % du capital de la nouvelle entreprise. Spectaculaire désengagement de l'Etat, dans un domaine pourtant crucial !

En octobre de la même année, seconde erreur, dont le bénéficiaire sera cette fois le gouvernement allemand : le 13 octobre, l'Aérospatiale-Matra ainsi largement privatisée et la firme automobile allemande Daimler-Chrysler annoncent leur fusion pour former un nouveau groupe : European Aeronautic Defense and Space, EADS en abrégé. Curieusement son siège est installé ni en Allemagne ni en France, mais aux Pays-Bas ; elle est de droit hollandais et la langue de travail y sera l'anglais - ce dernier point a son importance parce qu'on s'apercevra que bien des incompréhensions qui suivront viendront du recours, passablement incertain chez certains techniciens, à cette langue tierce. Dernier cadeau, le gouvernement français accède à la demande allemande et fait passer 80 % du consortium franco-allemand Airbus Industrie dans la nouvelle entreprise.

On célébra partout la création de ce "grand pôle européen", à la seule exception de l'économiste Elie Cohen qui déclara sans ambages : "Le principal point fort de la spécialisation industrielle de la France qui était l'aéronautique est en train d'être bradé". Bradé, le mot n'est pas trop fort : s'étant dessaisi en deux temps de l'Aérospatiale, l'Etat français ne contrôlait plus que 15 % d'un "pôle européen" dont la France avait été par le savoir-faire comme par l'investissement le plus gros contributeur !

Si tant d'emplois n'étaient pas perdus (détail grinçant, ils le sont principalement en France), on s'amuserait de voir aujourd'hui nos vaillants politiques faire assaut de formules miracles comme si notre Etat, qui s'est de lui-même dessaisi savamment, était maître de l'affaire - le pompon étant accordé à notre chère amie Madame Laguiller, qui va jusqu'à proposer de nationaliser EADS comme si l'entreprise était française, alors qu'elle l'est d'autant moins que Lagardère se désengage et que, en fait de recapitalisation, rôdent les fonds de pension américains ou des fonds spéculatifs venus de la péninsule arabique... Pourquoi à ce compte, ne pas proposer de nationaliser Boeing ?

La leçon crève les yeux : on voit ici l'incroyable légèreté des oligarchies qui nous gouvernent, pour qui l'intérêt national compte beaucoup moins que les copinages, masqués derrière de ronflants propos sur l'Europe en marche. C'est bel et bien la conception fusionnelle et que les déboires d'EADS devraient condamner une fois pour toutes.

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