jeudi 12 avril 2007

Le pire des mondes de M. Sarkozy


Editorial de Paul-Marie COÛTEAUX
Conseiller politique de Philippe de Villiers
Député français au Parlement européen.

mercredi 11 avril 2007

Faut-il croire que la France est une nation non pas seulement littéraire mais aussi philosophique ? Alors le débat n'avait atteint jusqu'à présent aucun des sommets de la pensée, voici que, à deux semaines de l'échéance électorale majeure, un surprenant propos de M. Sarkozy lance une controverse qui rebondit depuis plusieurs jours autour de la question, discutée depuis Platon, du déterminisme et du caractère inné ou acquis des comportements.

Au cours d'un entretien avec un "philosophe" autoproclamé, M. Onfray, Nicolas Sarkozy déclara qu'il était "incliné à penser qu'on naît pédophile" et même que les suicidaires étaient "génétiquement" (sic) prédisposés à le faire ; "ils ont, argumenta-t-il, une fragilité, une douleur préalable". Et de conclure : "Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense". C'est à juste titre que ces propos ont soulevé la polémique : à travers ce grand retour du rêve déterministe qui semble venir en droite ligne de la droite néo-conservatrice américaine, c'est le monde glacé que décrivait Aldous Huxley dans son fameux ouvrage "Le meilleur des Mondes" que l'on voit poindre.

Le lien ainsi établi entre la description anatomique et les comportements humains inspira d'innombrables fantasmes depuis des siècles, de la vieille idée du phrénologue Gall affirmant qu'une personne était conditionnée par le développement d'une région corticale précise, jusqu'aux grandes tentations contemporaines de la génétique en passant par les mille rêves des "mesureurs de crânes". Or, ce lien est plus dangereux aujourd'hui qu'il ne le fut jamais : il ouvre en effet la porte à tout ce que le totalitarisme moderne et sa dangereuse alliée, la science sans conscience, peut faire de pire contre l'humanité de l'Homme. Ce sont rien moins que l'expérience historique avec ses aléas, ce sont les sinuosités du lent dévoilement de l'histoire qu'apercevait déjà Saint-Augustin et corrélativement, la part imprévisible du développement humain que l'on pourrait finir par nier ; et avec elles, toutes les sciences bien dites humaines qui, telles la psychologie et plus encore la psychanalyse, ont révélé la part secrète et toujours mystérieuse, toujours pleine d'appels aux infinies possibilités des circonstances, des rencontres, des découvertes et des influences qui les modèlent pour le meilleur et pour le pire ; c'est-à-dire finalement, la liberté.

D'apprenti philosophe, M. Sarkozy tourne ainsi à l'apprenti sorcier. Si ses propos ont soulevé tant d'émotion et de réprobation (à commencer par celles, droites et magnifiques de Philippe de Villiers, lequel sut prendre la balle au bond en affirmant sur France-Inter : "j'ai parfois souffert moi-même de critiques sur l'origine" par allusion au sobriquet de vicomte par lequel une gauche finalement peu libérale le poursuit depuis des années), c'est que cette profession de foi déterministe consonne fâcheusement avec le monde dont il rêve : un monde que prendraient en charge, au détriment de la liberté des peuples, des mesureurs de cranes ou d'opinion, et autres "élites", elles-mêmes présélectionnées et converties à tous les sens de l'histoire, et notamment celui d'une Europe supranationale dirigée par une très savante Commission et digérant les nations comme autant d'aléas dangereux.

Le "Meilleur des Mondes" de M. Sarkozy est un monde soigneusement encadré par une science aux ordres et une technique sur-utilisée, un monde de sondages, de fiches de police et de caméras de surveillance, un monde d'où tout risque est éliminé au nom d'un confort maximal qui va jusqu'à la prédétermination des enfants à naître et l'élimination par avortement de ceux qui dérangent, sans oublier bien entendu l'élimination des vieillards sous le vocable honteux mais devenu général "aider à mourir". Ce monde unidimensionnel que décrivait déjà Marcuse, ce monde de la techno-science imposé aux choix de la politique et aux choix des hommes quant à leur vie de tous les jours, c'est bien le pire des mondes ; et c'est pour cela aussi, pour cela d'abord, que M. Sarkozy est le pire des candidats.

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